La Parole Perdue : Du livre « le sanctuaire intérieur » De Ralph Maxwell Lewis P 123

La doctrine de la Parole Perdue constitue l’un des arcanes de la liturgie religieuse et se retrouve dans les rites de maintes sociétés secrètes et philosophiques contemporaines. Chacune apporte sa propre explication, théologique ou philosophique, sur cette idée persistante. Par ailleurs, toutes se réfèrent à une conception fondamentale dont les racines sont profondément enfouies dans les toutes premières croyances de l’homme. La majorité des explications de la Parole Perdue repose sur la parole biblique : «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu» (Jean I:1). Cosmologiquement, cela signifie que l’univers est né d’une idée exprimée, d’une pensée insufflée dans un mot.

Dieu et le Verbe deviennent ainsi synonymes. Dieu ou la Conscience, en tant que raison créatrice, ne se manifeste que par le jaillissement du mot. En conséquence, la puissance créatrice de Dieu n’a de puissance que lorsqu’elle s’exprime par la parole. La force de Dieu devient sa voix ou une intonation. Il ne suffit pas, selon cette conception, que Dieu soit, pour que jaillissent de Sa nature l’univers et tout ce qui existe. Il faut en outre que la nature active de Son être, la loi ou  la décision de Sa Pensée, se manifestent en tant que parole prononcée.

Les hommes ont observé que toutes les choses naturelles sont régies par des lois. Autrement dit, elles dépendent de causes et de lois innombrables.
Les hommes supposent donc que le Verbe originel fut une synthèse de toutes les lois naturelles et cosmiques. En ce sens, le Verbe n’a pas façonné les éléments de l’univers à partir d’autres substances. Ce ne fut pas un agent divin ou une force divine agissant sur une substance indéterminée comme le feraient les mains d’un sculpteur façonnant une forme à partir de l’argile. Il faut plutôt considérer que toute chose, du grain de sable jusqu’aux planètes, était un état rudimentaire du Verbe. Le Verbe apparaît ainsi comme une énergie vibratoire, ondulatoire, au sein de laquelle repose l’essence fondamentale de toutes choses. Nous pouvons le comparer à un son unique qui inclurait simultanément toutes les octaves, toutes les notes. L’existence d’un son particulier, perceptible à l’oreille, dépendrait donc de la cause originelle, du son unique. De même que toute couleur est l’une des composantes de la lumière blanche, toute création fait partie de la loi composite contenue dans le Verbe.

En conséquence, ce Verbe est revêtu de ce caractère important : il est la clef de l’univers. Celui qui connaîtrait ce Verbe et saurait le prononcer, aurait la maîtrise de toute la Création. En liaison avec ce raisonnement, il est probant que la loi de création, ou Logos, manifestée sous forme de mot, n’a jamais cessé d’exister, n’a jamais disparu, n’a jamais décru. Tout ce qui existe dépend de ses frémissements continus et de sa nature vibratoire. Tout comme la lumière d’une lampe électrique dépend d’une cause constante – le passage du courant dans le filament de l’ampoule, – de même, toutes les manifestations doivent leur existence aux répercussions du Verbe dans tout l’univers. La nature vibratoire de toute chose s’intègre ainsi dans une vaste gamme, dans un gigantesque clavier. Chaque réalité est reliée de quelque façon à une note ou à une combinaison de notes qui fait partie intégrante du Verbe. Ainsi, selon cette conception, certains sons vocaux pourraient contenir, dans leur combinaison, toute la gamme créatrice de l’énergie cosmique.

La plupart des organisations philosophiques et religieuses gardiennes de la tradition du Verbe affirment qu’il fut un temps où l’homme possédait, en héritage divin et légitime, la connaissance de ce Verbe, ce qui lui donnait la maîtrise complète de son domaine, la Terre. Des explications variées et divergentes sont proposées quant à la manière dont l’homme fut dépossédé d’un tel trésor. De même, chaque tradition considère que l’homme peut se racheter et retrouver la Parole Perdue, ou du moins certaines syllabes efficaces. Cette rédemption, admet-on généralement, passe par la synthèse de la connaissance exotérique et de la connaissance ésotérique, c’est-à-dire par l’étude des sciences de base de la nature et par la communion avec Dieu ou avec l’Absolu. En fait, les rites et les cérémonies sacrés perpétuent certaines syllabes ou voyelles que l’on dit être des parties de la Parole Perdue ; leur intonation a des pouvoirs et des effets bénéfiques et créateurs. Les Rosicruciens utilisent ces sons vocaux depuis des siècles et obtiennent d’excellents résultats dans différents domaines de la vie. D’autres mystiques déclarent que si la Parole Perdue est indicible pour l’homme qui ne sera jamais capable de la prononcer, il peut néanmoins entonner certains sons vocaux et en retirer un immense pouvoir personnel.

Nous avons dit que cette croyance a son origine dans la pensée primitive de l’homme. L’étude de son histoire contribuera à nous faire comprendre ce mystère devenu une doctrine respectée. Selon un ancien texte liturgique, le vocable sumérien, pour «parole», est « Inim« , que l’on prononce « enem« . A partir de ce mot, le Sumérien développa le concept de l’incantation. Pour les Sumériens, l’incantation se composait des mots formels du magicien ou du prêtre. En fait, le Sumérien désigne l’incantation sous le terme « inim-inim-ma« , c’est-à-dire la répétition de « Inim« . Pour les Sumériens, «Inim» ou «parole» voulait dire « exprimer une décision ». Les anciens Sémites considéraient qu’un mot prononcé avec conviction avait toute la force d’un ordre ou d’une promesse ; c’était même quelque chose de défini et de réel, c’est-à-dire une entité identique à une substance déterminée. De ce fait, un pouvoir magique extraordinaire émanait des mots d’une divinité, d’un prêtre ou d’un homme, à l’occasion de certaines cérémonies. Les mots des dieux prononcés cérémonieusement étaient déifiés par les Sumériens. En d’autres termes, ils étaient considérés comme une entité divine équivalente au dieu lui-même.

Rappelons la citation biblique précitée qui est conforme à cette conception : «Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu». En 2900 avant J-C., nous trouvons l’inscription « Enem-Ma-Ni-Zid » qui, traduite littéralement, veut dire «son mot est vrai». De même, dans les temps présargoniques, vers 2800 avant J-C., on trouve, sur le Temple de Lugalanda, cette phrase « Enem-Dug-Dug-Ga-Ni An-Dub« , ou : «La parole qu’il a prononcée ébranle les cieux, la parole qui en bas fait trembler la terre». Nous voyons ici, exprimée pour la première fois voici près de 5000 ans, la conception de la puissance dynamique du Verbe Divin. Un autre apport des Sumériens fut d’identifier le Verbe du Dieu Enlil avec sa Conscience. Le Verbe du Dieu devint un attribut de sa nature qui embrasse tout, jaillissant de lui pour se projeter dans le chaos. Par exemple, un autre texte liturgique sumérien dit : «Les mots qui sortent de ta bouche sont un vent bienfaisant, un souffle de vie pour les terres». Cela nous rappelle encore l’Ancien Testament, qui nous dit, dans le livre de la Genèse I:2 :«L’Esprit de Dieu planait sur les eaux». Après cela, Dieu ordonna: «Que la lumière soit». Pour les Sumériens, le souffle de Dieu était un flux de lumière chaud. L’influence des religions sumérienne et babylonienne sur les captifs hébreux est tout à fait évidente dans les livres de l’Ancien Testament.

Pour les Sumériens et les Babyloniens, l’eau était le principe premier, la substance primordiale d’où toute chose est issue. L’eau n’était pas une force créatrice, mais plutôt l’élément de base à partir duquel les autres substances se développaient ou évoluaient. Toutes choses venant de l’eau, on en concluait que la raison et la sagesse se trouvaient en elle. Le mot que les Sumériens attribuaient à l’eau, ce principe créateur, était « mummu« . L’historien grec Damascius a dit que ce mot désignait la « raison créatrice », la Sagesse qui créa toutes choses. De la même manière, le livre de la Genèse nous dit que «l’eau fut la première substance sur laquelle l’esprit de Dieu planait».

Cette doctrine de l’eau, en tant que substance première, fut introduite dans une école philosophique de l’ancienne Grèce. Thalès de Milet l’emprunta
sans doute aux Babyloniens. Anaximandre et Anaximène furent apparemment influencés par leurs contacts avec les érudits hébreux et leurs traditions. Aussi eurent-ils également recours au syncrétisme. Ils déclaraient que la substance cosmique était elle-même la Raison, la Sagesse, l’Harmonie ou « Noùs« . Cette idée, nous le voyons, correspond au Logos babylonien, au Mummu, raison créatrice et immanente de l’eau. Héraclite, qui exposa 500 ans avant J-C. une doctrine de l’évolution et de la relativité, celle du devenir de toute forme de matière par un processus de transmutation du feu en air et réciproquement soutenait que la seule réalité était la loi du devenir, la loi cosmique : le Verbe.

Progressivement, une transformation s’opéra : le Verbe, considéré comme expression du Divin, fut remplacé par le Logos (la Loi). Ce Logos était la volonté de Dieu, s’exprimant dans l’univers sous forme d’une loi immuable et active. Les anciens Stoïciens considéraient que le principe divin, la cause première, était le pneuma, le souffle de Dieu qui pénétrait toutes choses. Ce souffle se manifestait au niveau de la matière sous forme de lois créatrices. Ce sont les lois physiques que la science connaît et étudie. Chez l’homme, ce souffle ou Logos devenait une entité inférieure et l’animait en tant qu’âme. Philon, philosophe éclectique juif du début de l’ère chrétienne, érigea le concept du Logos en une doctrine philosophique très importante qui fut introduite dans les dogmes théologiques de certaines de nos religions les plus connues d’aujourd’hui. Pour Philon, le Logos était d’une part, la sagesse divine, la puissance rationnelle et créatrice de l’Etre Suprême. En d’autres termes, le Logos était la Conscience de Dieu. D’autre part, le Logos n’était pas la nature absolue de Dieu; il n’était pas la substance de la Divinité. C’était plutôt un attribut de Sa nature, la raison provenant de Lui comme une émanation. On le considérait comme la raison exprimée. Ainsi, là encore, nous voyons que le Logos signifie le Verbe, la volonté exprimée de Dieu. Le Logos ou Verbe était considéré par Philon comme résidant dans le monde. Dieu n’était pas immanent dans le monde. Il le transcendait, mais le Logos, Son Verbe, descendait dans le monde sensible comme un médiateur entre Dieu et
l’homme.

En résumé, répétons ce que nous disions dans le chapitre précédent sur les affirmations, à savoir que la plupart des hommes pensent qu’un désir ou un souhait n’est efficace que s’il est exprimé oralement. Ils estiment qu’une pensée n’est pas suffisante en soi si elle n’est pas accompagnée de quelque agent actif comme le mot prononcé. Par conséquent, la source que l’homme attribue aux lois cosmiques, aux lois physiques de l’univers, c’est le Verbe qui, après avoir été émis, n’a cessé de se réfléchir dans tout l’univers, ce Verbe que l’homme ne peut plus comprendre dans son intégralité. Le Verbe Perdu, les affirmations et beaucoup de principes précédemment examinés ont été synthétisés dans des cérémonies connues sous le nom d’initiations mystiques. Nous devons donc maintenant nous tourner vers l’initiation, pour comprendre la relation harmonieuse qui existe entre ces éléments.

La Parole Perdue : Du livre « le sanctuaire intérieur » De Ralph Maxwell Lewis P 123
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