par Patrick Aubry ; Revue ROSE-Croix N° 257 de printemps 2016 (pages 17 à 26)
Parler de la connaissance semble simple en apparence, et pourtant, c’est un sujet complexe.
Les mots favorisent la confusion, autant que leurs mélanges sémantiques. Les conversations de tous les jours nous font assister à l’opposition parfois caricaturale entre deux discours radicaux. D’un côté nous avons les tenanciers du dogme intellectuel, partisans de la toute-puissance de la pensée sur la superstition et autres mystifications que sont pour eux les religions. De l’autre côté nous avons les opposants aux excès de la pensée qui annoncent la supériorité absolue du cœur. Louis-Claude de Saint- Martin annonçait lui-même que « ce n’est pas la tête qu’il faut se casser pour avancer dans la carrière de la vérité, c’est le cœur.» S’il est indéniable que le siècle des lumières a engendré des excès et que la pensée a pris le pas sur l’action et sur l’affect, est-ce vraiment la pensée qui est en cause ou bien l’absence d’équilibre entre cœur et raison ?
Notre époque est celle de la science triomphante. Le défaut de la pensée scientifique est le scientisme. Cependant, la science a sa part d’ombre et de lumière qu’il ne faut point méconnaître. En tant qu’institution, la science est aujourd’hui devenue sectaire au point d’être aussi dogmatique que le fut la Catholicité moyenâgeuse qui érigea les bûchers de l’Inquisition. Aujourd’hui, le raffinement du symbolisme triomphant fait que la science brûle aussi ses hérétiques, mais uniquement symboliquement, sur l’autel social dont le parvis n’est autre que les grands médias. Le rationalisme est devenu une religion qui exclut tout ce qui échappe au champ d’application classique afin de ne garder que ce qui est maîtrisable, et qui glorifie la pensée de l’homme moderne. Ceux qui savent lire entre les lignes découvrent constitué un corpus de textes fondateurs du « droit canon scientifique », si bien que ceux qui transgressent ce droit sont immédiatement traduits devant le « grand inquisiteur scientifique ».
Le réductionnisme est une étape nécessaire de la pensée, pour établir un modèle et initier la réflexion, mais le scientisme conduit dans cette étape au simplisme au lieu de conduire à une ouverture plus large du modèle institué. Cependant, est-ce l’institution qui est à l’origine de tous ces maux? Tout comme les animaux, l’homme a, par nature, peur de ce qu’il ne connaît pas. Cette peur conduit à la volonté d’avoir des certitudes sur tout, ce qui est l’apanage des voies de croyances que sont la science et la religion dans leur forme exotérique à destination du « Vulgus », L’homme est également, par essence et par constitution, partisan du moindre effort. Ce trait n’est pas un défaut en soi puisque cela construit une stratégie de survie efficace, mais qui le conduit à refuser de payer le « prix» de sa propre transformation. Il préfère s’aliéner à des vendeurs de vérités bon marché plutôt que de souffrir l’incertitude de la recherche de la vérité. Mais ne le blâmons pas, car ce refus d’effort obéit à une loi naturelle qui lui interdit tout gaspillage, y compris dans ses pensées et dans son cerveau.
Si nous instruisons un procès à charge de la science, demandons-nous d’abord qui sont les scientifiques. À l’origine, les scientifiques grecs étaient également des sages, des mystiques, des philosophes. Il n’y avait pas de distinction entre ces voies, il n’existait que des chercheurs de vérité. Descartes, étant lui-même un philosophe, voulait rompre avec les interminables raisonnements scolastiques: il tenta de développer une méthode irréfutable ouvrant sur le connaissable. Malheureusement, les excès de cette démarche inciteront les chercheurs de vérités à moindre coût à rejeter tout ce qui échappe au monde sensible pour sombrer, par construction, dans le matérialisme le plus dogmatique.
La science a voulu, à sa naissance, s’affranchir du dictat religieux en établissant une méthode ne souffrant aucune manipulation morale. L’homme de science fut un chercheur de liberté, pour lui, mais aussi pour l’humanité. À ce titre, rendons-lui hommage. Mais la recherche de la liberté à tout prix amène à refuser tout engagement et l’homme quitte une prison pour une autre sans se rendre compte que la porte de sortie de cette prison est également la porte d’entrée d’une prison encore plus subtile et bien plus solide. L’homme de science a ainsi rejeté tout ce qui échappe à la matière pour finalement nous y enfermer. Le « Fort Alamo » défendu par la rage de vivre des hommes est devenu le « tombeau Alamo ». Aujourd’hui, la science moderne, avec la mécanique quantique, nous ramène au subtil, à ce que nous appelons « l’âme » en tant que tissu constitutif de la réalité.
Malgré ces tergiversations historiques malheureuses, notons que la base de la démarche scientifique est le raisonnement hypothético-déductif. Ainsi, nous partons d’une hypothèse, nous en déduisons une représentation locale du monde réel, puis nous tentons d’en prédire le comportement à l’aide de cette représentation afin de vérifier si ce modèle représentatif est pertinent ou non. C’est une voie de connaissance qui nécessite l’expérience. Ceux qui l’appliquent avec un esprit de recherche savent que l’esprit scientifique impose d’être un point d’interrogation vivant, en se posant en tout lieu et en tout temps, à propos de tout, les simples questions: pourquoi, comment? Notons également qu’il y a une différence souvent fondamentale entre la science et le scientifique, entre la science en tant que méthode de pensée et d’exploration du réel et l’institution. Mais, soyons honnêtes avec nous-mêmes, dans les confréries mystiques, n’y a-t-il pas aussi un écart parfois important entre la méthode d’approche du Divin et le comportement de certains membres eux-mêmes? L’égrégore est parfois très supérieur aux individus pris individuellement.
Après la science, intéressons-nous plus spécifiquement à la pensée. La pensée est la structure de base de la science issue du monde antique voulant triompher de la superstition. Mais la pensée pensante est un piège lorsqu’elle constitue un excès de la dialectique antique. Elle ne cherche plus la vérité, elle ne cherche qu’à avoir raison. La pensée, dans son acception biologique, permet une projection dans le futur permettant l’anticipation. Cependant, cette projection finit par donner l’illusion de pouvoir s’affranchir de l’expérience elle-même par simple raisonnement. Enfin, l’intellectualisme triomphant ne semble finalement que triompher des moins cultivés ou des moins intelligents, ouvrant la porte aux ténèbres par l’illusion du pouvoir sur les hommes: n’est-ce pas l’œuvre du tentateur, le « Satan » du Nouveau Testament? Il se développe une habitude de créer une culture qui transcende le raisonnement pour le masquer : ainsi l’homme, savant moderne, connaît le nom latin des simples, mais a oublié comment s’en servir, ou bien comment s’harmoniser avec ces plantes.
Tout ceci nous amène à nous poser cette question: pourquoi avons-nous un cerveau? En effet, le rejet des excès de la pensée intellectualisante conduit souvent à rejeter l’intellect tout entier en voulant donner la prédominance au cœur. Le vécu est alors seul recevable face à la pensée. C’est d’ailleurs souvent pour honorer « Dieu» que l’on cherche à ouvrir la voie du cœur en tentant de racheter la « faute » d’Adam « qui a mangé la pomme, fruit de l’Arbre de la connaissance donné par la femme pécheresse et complice du démon serpent ». Pourtant, « Dieu» serait-il assez pervers pour nous doter d’un outil afin de nous obliger à nous en passer sous peine de damnation éternelle ?
Le cerveau est en effet un outil de la pensée qui permet la projection dans le futur et l’anticipation. S’il y a des excès, cette capacité d’anticipation et de projection donne aussi naissance à la conscience de soi. D’autre part, le cerveau a la capacité d’appréhender le réel en interagissant avec lui pour en constituer une représentation. Cet outil est extrêmement puissant, mais l’outil n’est pas l’œuvre. Un bon ouvrier a de bons outils, mais de bons outils ne suffisent pas à faire un bon ouvrier. Et, sous prétexte que l’outil n’est pas l’œuvre, va-t-on jeter l’outil de l’artiste? Comment composera-t-il alors son œuvre? L’artiste, au contraire, chérit son outil. Il le choisit, le travaille, le perfectionne tant que celui-ci représente le moyen par lequel il donnera naissance à l’œuvre pour manifester le beau.
Le triptyque martiniste Force-Sagesse-Beauté nous donne une voie de perception et de résolution de cette problématique: la beauté est le but de notre voyage sur Terre car là réside la manifestation de l’Intelligence cosmique qui exprime sa sagesse par le biais de sa force. Lorsque nous manifestons la force comme fin en soi nous sombrons dans la barbarie. Lorsque nous nous abandonnons à la sagesse sans user de force et sans avoir pour but de manifester le beau, nous nous perdons dans l’intellect. Lorsque nous nous abandonnons à la beauté en négligeant la force et la sagesse, nous nous perdons dans l’illusion du paraître. La souffrance n’est nullement un principe de connaissance, elle n’est nullement nécessaire, elle est seulement le témoignage de notre ignorance. Lorsque nous utilisons la force comme bras armé de la sagesse pour manifester la beauté, notre but ultime est de connaître le beau. Nous utilisons alors la sagesse et la force pour le connaître. Par la loi du triangle, la sagesse agit sur la force pour donner naissance à la beauté. Après avoir connu le beau nous pouvons devenir.
Nous opposons souvent l’expérience (au sens d’expérimentation), à la pensée. Il est vrai que l’expérience ne peut être remplacée par la pensée ou le savoir livresque. Cependant, l’un ne va pas sans l’autre. Prenons une image pour illustrer ce propos. La première expérience initiatique que vit tout homme est la parentalité. Ceux qui ont des enfants ont tous rencontré, à un moment de leur vie, un couple d’amis non parents voulant leur donner des leçons sur l’éducation de leurs enfants. Certains avaient des règles de vie ou des principes bien étudiés, et solidement construits d’un point de vue intellectuel. Bien entendu, aucun de leurs principes ne résista en l’état à l’épreuve de la réalité et le discours changea bien évidemment dès lors que ce couple entra dans la parentalité à son tour. À l’inverse, certains couples adoptent l’instinct, l’intuition pure, comme principe directeur pour inspirer leur éducation au jour le jour. Élever un enfant c’est inné, disent-ils, il faut faire confiance à son instinct maternel et paternel. Pourtant, le résultat est-il toujours à la hauteur? On peut en douter fort dans de nombreux cas.
Dès lors, nous constatons que le savoir livresque est nécessaire pour nourrir notre réflexion, qui elle-même enrichit notre perception afin de modifier notre façon d’être et ainsi nous transformer en parent. Lorsque nous réfléchissons, observons, lisons ou écoutons des témoignages, des conseils, avant d’être parent, il est un moment où nous pouvons enfin dire : « je sais ! ». Lorsque l’expérience se présente, nous sommes armés pour y faire face et dans le même temps l’expérience nous désarme. Nous devons puiser au fond de nous une ressource supplémentaire. Passé cette expérience, nous pouvons alors dire: « je savais, mais maintenant, je connais, et je mesure d’autant plus l’étendue de mon ignorance ».
Ainsi vaut-il mieux nous diriger vers un modèle dynamique d’union de l’intellect et du cœur. En effet, si l’expérience nous rapproche du réel, elle reste limitée. Sans intellect nous resterions bornés à des sentiments basiques tel que « j’ai froid, j’ai faim, j’ai mal, j’ai peur … ». L’intellect nous permet de modéliser une représentation du réel afin que nous puissions évoluer en complexité. Il y a en permanence interaction entre l’intellect et l’expérience: l’intellect construit un modèle du réel nous permettant de guider notre expérimentation et de concevoir cette complexité du réel. L’expérience, ou le savoir émotionnel du cœur, nous permet de valider ce modèle ainsi que de lui donner le relief dans les dimensions hors du monde sensible. Ce procédé est alors interactif et nous permet de progresser par interaction dipolaire entre savoir intellectuel et savoir du cœur. Les deux évoluent ensemble si bien qu’il n’y a aucun sens dans la recherche de causalité de l’un par rapport à l’autre: il y a simultanéité.
D’autre part, notons que l’analyse des voies de connaissances scientifiques nous laisse entrevoir une idée du but du Créateur. L’inconnu est trop complexe pour être appréhendé d’un seul tenant et en même temps. La méthode scientifique préconise une séparation des éléments, une dissection du réel, une catégorisation des savoirs à acquérir afin de comprendre chaque partie. Mais cette dissection faite et comprise, l’étape finale consiste à étudier les relations entre les parties qui en font un tout cohérent :il s’agit de réunir ce qui est épars! Ne serait-ce pas là le but de la Conscience universelle? Ne se serait-elle pas projetée dans la matière pour se disséquer, afin de mieux se connaître avant de se réunir en un grand tout d’un niveau de conscience plus élevé, où chaque partie comprend et contient le tout? Ainsi la loi du triangle fait agir le savoir intellectuel sur le savoir du cœur par le truchement de la volonté, pour donner naissance à la connaissance.
Afin d’éprouver cette pensée, prenons l’exemple des savoirs que nous obtenons et qui nourrissent nos visualisations. Pour atteindre un but il nous faut au préalable concevoir ce but, le situer, déterminer le chemin pour l’atteindre puis enfin les moyens de parcourir ce chemin. C’est bien ce travail de l’intellect qui nous permet de construire notre visualisation mais c’est bien notre cœur qui nous permet d’agir et de transmettre nos intentions et nos vibrations au Cosmique. Cette connaissance, par transmutation alchimique, va ainsi nous conduire à la conscience.
Intéressons-nous maintenant à un autre aspect de la dualité apparente des approches de l’intellect et du cœur. En effet, il y a toujours eu opposition entre la lumière et les ténèbres. Il nous faut donc un modèle dual pour assurer la pureté de notre voie d’évolution. Lorsque la religion s’est opposée à la magie, elle était voie d’évolution. Mais dès lors que la religion a triomphé, elle est devenue rapidement obscurantisme et superstition dans sa forme majoritaire et exotérique, ceci sans remettre en question sa haute valeur spirituelle et mystique dans sa forme ésotérique. La science a connu le même développement. Tout d’abord voie d’évolution et de lumière s’opposant à l’obscurantisme moyenâgeux de la catholicité romaine, elle devint, lorsqu’elle remporta le combat, une nouvelle voie de dogmatisme et de ténèbres, même si elle comporte en elle beaucoup de lumière, si elle reste une voie de connaissance et d’évolution. L’erreur n’est-elle pas alors dans le combat qui se veut exterminant, alors que les deux pôles s’équilibrent et se dynamisent au lieu de se détruire ?
De même, dans l’Antiquité, c’est la disparité politique, économique et militaire opposant Rome à Carthage qui maintenait les forces de développement des cités et garantissait les hautes valeurs morales et l’engagement de ses politiciens. Lorsque Rome détruisit Carthage, elle entra dans la décadence tant morale que matérielle, faute d’un alter ego capable de maintenir l’équilibre. Les exemples de l’histoire sont nombreux pour servir ici d’illustration.
Dans le rejet de l’intellect triomphant, il y a souvent une hiérarchie implicite des savoirs intellectuels. Il est indéniable que certains ont une capacité intellectuelle beaucoup plus développée que d’autres. Pourtant, cette comparaison des intelligences a-t-elle un sens, au-delà des sempiternelles ritournelles telles que «nous sommes tous différents » ou « chacun son chemin » ? Prenons enseignement dans le Livre de la nature. Ce qui fait la puissance d’un cerveau, ce n’est pas la grosseur ou la puissance d’un neurone en particulier, c’est le nombre de connections existantes. De même, dans un groupe d’individus, il y a une relation entre la circulation des idées et le niveau de performance du résultat, plus que dans le niveau absolu d’un des membres en particulier. C’est sans doute cela qui définit un égrégore.
D’autre part, aucun d’entre nous ne se construit indépendamment de ceux qui l’entourent. Nos capacités sont donc la résultante de l’expérience et du travail spirituel de ceux qui nous entourent ou qui nous ont précédés. Et dans bien des cas, la connaissance est la résultante des expériences et du prix de la souffrance, en tant que signe majeur de notre faible évolution, dont le capital principal n’a pas été payé par nous, mais par nos proches. Dans ce cheminement, la transmutation de la connaissance en conscience nous amène à comprendre que nous sommes Un, reliés tous ensemble, et que chaque pas que nous aidons l’autre à faire nous fait nous-même avancer, soit par miroir, soit par progression de l’ensemble qui profite à chacune de ses parties. Ainsi, il n’est pas de meilleure œuvre que de permettre à cet autre d’avancer au plus loin de ses possibilités. En nous dévouant de cette façon nous servons le Cosmique. En fait, nul n’est le créateur d’un groupe: il ne peut en être au mieux que l’initiateur; le groupe donne ensuite naissance à son chef, synthèse des consciences de chacun des membres, comme un cerveau est la synthèse de ses neurones.
Considérons le progrès spirituel ou le progrès de la conscience des hommes: nous pouvons constater que l’équilibre vectoriel des forces de progrès dépend de l’ouverture du triangle de transformation. Ainsi, si le triangle est plat, les forces à la base du triangle sont en opposition stricte et s’annulent l’une l’autre. Chaque accroissement de la force d’un pôle entraîne par réaction l’accroissement de la force du pôle opposé. Il existe alors un état stationnaire caractérisé par des destructions importantes en vies, en capitaux, en espace de nature, en manifestation de la beauté. Chaque force est amenée à faire toujours plus de la même chose. Lorsque le triangle tend vers un triangle équilatéral, la résultante des forces à la base du triangle induit une force de progrès, que nous pouvons appeler « volonté ». Cette force d’accroissement, ou volonté divine, amène le mouvement d’élévation des consciences, et par extension de la conscience universelle. Il y a moins de destructions et plus de transformations, car chaque pôle de force à la base du triangle sert le même but, c’est-à-dire le troisième pôle.
Ces réflexions conduisent à l’interrogation sur la nature du Divin. On ne peut raisonnablement ni croire ni ne pas croire en Dieu. En effet, Le mot « Dieu » vient du latin deus, lui-même issu de la racine indo-européenne dei, « briller» ; cette dernière, élargie en deiwo et en dyew, sert à désigner le ciel lumineux en tant que divinité ainsi que les êtres célestes par opposition aux êtres terrestres, les hommes. Étroitement liée à cette notion de lumière, c’est la plus ancienne dénomination indo-européenne de la Divinité qui se retrouve dans le nom du dieu grec Zeus dont le génitif est Dios. L’homme a ainsi nommé « Dieu» ce qu’il cherchait à comprendre.
Établissons un parallèle: en électronique, le scientifique a l’habitude de circonscrire l’objet de son étude en l’appelant « Boîte noire », afin d’en étudier les comportements et réactions. Tout comme Dieu, la boîte noire existe, puisque c’est l’observateur qui lui donne naissance par une création intellectuelle. Il ne serait pas concevable, après avoir défini le cadre de cette boîte noire d’affirmer « ne pas croire à la boîte noire». La vraie question n’est donc pas « est-ce que la boîte noire existe ? mais « qu’est-elle? ». Ainsi nous pouvons en conclure que Dieu existe par construction: il est la dénomination de la limite de la connaissance de l’homme et la limite de sa maîtrise des choses et des événements. Dieu répond à un besoin, selon la théorie du « Locus de Control » en psychologie, proposée par Julian Rotter en 1954, ce qui fit dire que si Dieu créa l’homme à son image, l’Homme, pour le remercier, créa à son tour Dieu à son image. Mais c’est en tentant de répondre à la question « qu’est-il? » que nous pouvons pénétrer le cœur de Dieu. Et « c’est en entrant dans le cœur du Divin que l’on fait entrer le Divin dans son cœur », selon Louis-Claude de Saint-Martin.
L’intellect est ainsi une excellente voie de connaissance. C’est l’outil par lequel le Cosmique nous aide à prendre conscience de nous-mêmes. Par extension, nous percevons que le Cosmique nous a doté du cerveau tel un miroir, afin de pouvoir faire l’expérience de lui-même et ainsi mieux nous connaître. La connaissance se révèle être le but ultime de l’existence, il nous faut y travailler en permanence, et c’est en arpentant le chemin de la connaissance que étendons notre conscience vers l’infini et que nous pourrons reconquérir notre liberté: il n’y a en effet pas de liberté sans connaissance, ni de connaissances sans savoirs et expériences.
Ainsi, interdire l’accès à l’Arbre de la connaissance, c’est soit rechercher l’asservissement de celui qui écoute ce commandement, soit le forcer à désobéir pour l’amener à aimer la connaissance. S’il semble que nous ayons hérité du « péché originel », ce péché ne doit pas être perçu comme la transgression de l’interdiction de goûter à l’Arbre de la connaissance, mais au contraire comme l’ignorance dans laquelle nous avons été précipités lors de notre séparation d’avec le Divin. Il nous faut retourner au Divin par la connaissance qui nous conduit à la conscience de l’Unité cosmique sans que nous oubliions notre individualité. Là réside toute la difficulté, car vouloir donner la prédominance au cœur en refusant l’intellect, c’est retourner à l’unité primordiale en perdant notre conscience individualisée: c’est régresser en retournant à une forme moins évoluée du tissu de la conscience universelle, c’est trahir l’œuvre de l’Intelligence cosmique.
Il est bon d’accumuler des savoirs de tous ordres, non pour s’en parer, mais pour s’alimenter en tant que creuset alchimique de l’Intelligence cosmique. On peut y apporter d’autres ingrédients essentiels: la volonté, l’engagement, l’authenticité vis-à-vis de soi-même, des autres et du Cosmique, le courage, l’expérimentation et l’empathie. Le creuset alchimique qu’est un être engendre alors lentement un peu de connaissance qui servira de moteur au voyage de sa conscience. Il devient une étape de cette transformation où l’on bascule dans un état de conscience supérieur et qui permet de regarder Dieu en face pour instaurer un dialogue avec Lui commençant simplement par le pardon.
Pour conclure, disons qu’il ne sert à rien d’accumuler un savoir intellectuel si nous ne le transformons pas. De ce point de vue, le scientisme en tant que thésaurisation du savoir est une erreur. Le savoir, le sang et l’argent ont tous les trois les mêmes caractéristiques et les mêmes raisons d’être: ils n’ont de sens que dans la circulation. Dès lors que nous les enfermons, ils perdent toute valeur et toute utilité. Le savoir intellectuel a d’importantes vertus dès lors qu’il reste subordonné au cœur, siège de nos perceptions spirituelles. C’est pour cela qu’il est important de choisir de suivre une voie de connaissance offrant savoir et expérience.