par Irène Beusekamp Fabert SRC Grand Maître de la juridiction néerlandaise de 1983 à 2007
Revue Rose Croix N) 248 ; hiver 2013 ; p 2
À en croire les Grecs de l’Antiquité, Harmonia était la fille d’Arès et d’Aphrodite; en d’autres termes, elle était le fruit d’échanges passionnés entre le dieu de la Guerre et la déesse de l’Amour. Ceci ne peut étonner que ceux qui ignorent que l’harmonie naît de deux forces opposées qui essaient d’établir un équilibre commun. Dans le grand dictionnaire néerlandais Van Dale nous lisons concernant l’harmonie la définition suivante: «combinaison, relation d’un certain nombre de choses pour en faire un tout bien ordonné et agréable. Commun accord, entente, concorde. »
Dans la philosophie rosicrucienne, l’harmonie est une notion que nous connaissons. Elle y est souvent mentionnée, indiquant l’équilibre dans notre Moi intérieur, entre notre Moi et ce qui nous entoure, et entre notre Moi et le Cosmique.
Dans la musique, sans
aucun doute, l’art le plus spirituel de tous les arts, l’émission simultanée
d’au moins trois notes de même valeur produit une harmonie. C’est ainsi que
naît l’accord. Un accord peut être consonant ou dissonant selon l’ouïe de celui
qui l’entend. La perception des sons chez les Orientaux n’est pas la même que
chez
les Occidentaux, mais quel que soit l’accord, il est important qu’il soit
agréable à celui qui l’entend. Tout ce qui est agréable à la nature humaine est
harmonieux en essence.
Nous disons qu’une chose est harmonieuse lorsqu’elle nous est agréable. Elle doit avoir quelque chose qui contribue à notre paix profonde. Mais l’harmonie est-elle toujours liée à la paix profonde? Quand des parents demandent des explications à un enfant occupé à quelque action dangereuse, l’intervention des parents peine l’enfant. Le plus souvent les parents ont de la peine eux aussi. Tout en apprenant à l’enfant’ quelque chose qui lui servira plus tard, les parents doivent donc corriger son comportement, ce qui les chagrine eux-mêmes. Pourtant tout ceci fait partie de leur tâche de bons parents. Et bien que les parents préfèrent tout permettre à l’enfant, il leur faut donc intervenir de temps à autre. Tout cela est un apport d’harmonie pour l’enfant, mais quant aux parents, leur paix intérieure est troublée pour un bon moment.
De ceci nous pouvons conclure que le terme « harmonie », dans la stricte définition du dictionnaire qui l’associe à quelque chose d’agréable, n’est plus valable dans un sens mystique. Au sens mystique, le terme « harmonie » désigne une relation impersonnelle d’une chose avec une autre selon les lois de la nature, tels A accouplé à B et formant C. Par exemple, celui qui jette une pierre dans une vitre casse la vitre. Ceci se fait selon des lois définies, et dans ce sens, la situation est harmonieuse. Dans un autre exemple: celui qui est aimable envers les autres sera traité par eux aimablement. Dans cette situation, les éléments qui la composent sont aussi harmonieux.
De tout cela un élément s’impose : il s’agit de relations réciproques.
Dans le monde, dans le cosmos, toute chose est en rapport avec une autre. En fait tout se tient et s’unit pour ainsi dire automatiquement, bien que la conscience psychique, consciente d’elle-même, puisse prendre la conduite et faire ses choix. Il en est ainsi parce que la conscience humaine sait différencier toutes les situations qui en soi sont harmonieuses, mais dont certaines ne sont pas en accord avec elles-mêmes. Toutes les choses sont soumises aux lois de la nature, elles sont en harmonie, pour autant nous discernons les éléments qui les composent.
Il importe maintenant que nous nous considérions comme l’un des points du triangle, c’est-à-dire du processus dialectique. Pour toute situation construite à partir de A et B, il nous faut apprendre à ressentir si la situation, qui est en soi harmonieuse, l’est également avec nous-mêmes en tant que point C. Il se peut alors que cette situation nous mène à une sorte d’harmonie naturelle que nous ne désirons pas et même que nous refusons. La situation reste donc harmonieuse en soi mais ne l’est plus en relation avec nous-même, du moins si nous sentons intuitivement qu’il se produit une sorte d’harmonie qui pour nous n’est pas agréable. Nous pouvons donc décider de la refuser. Et c’est ainsi que l’homme a pris l’habitude de définir l’harmonie à partir de lui-même.
En fait, l’harmonie règne dans la nature, et elle y règnerait également si l’homme n’existait pas. Nous contemplons la nature, mais sa beauté est l’effet de l’équilibre et de l’harmonie qui sont en elle. La chaleur et le froid, l’humidité et la sécheresse, la germination, la floraison, le développement du fruit, la chute des feuilles, le sommeil hivernal qui prépare le printemps, sont une série d’accords conclus avec le macrocosme. La nature s’incline volontiers devant son Créateur et accepte Ses lois: le vent qui fait pencher l’arbre, la pluie que le sol absorbe, le soleil qui mûrit le blé, le givre et la neige sous lesquels s’endort la nature lorsque vient l’hiver après des mois de travail intense. La nature se soumet et s’adapte et sa beauté est le résultat d’une harmonie qui jamais ne cesse. Et c’est ce dont l’homme qui a le bonheur de vivre en communion avec elle est conscient.
La nature pense, la plante pense et bouge, clic règle ses mouvements et sa croissance au rythme des planètes. Elle réagit aux différentes fréquences de vibrations. Elle utilise son corps de plante pour se gorger de son et de lumière ou pour se protéger d’eux. Les botanistes et les biologistes de notre époque ont découvert chez les plantes des facultés d’intelligence qu’on interprétait autrefois comme un phénomène végétatif.
On savait que la nature était organisée ; on la voit maintenant agir. Les animaux ont toujours eu connaissance des activités des plantes. Entre les animaux et les plantes il y a une assistance mutuelle du fait qu’ils sont régis par des lois universelles. Pour mieux recevoir l’insecte la plante change ses formes, si bien que l’existence et la mission divine de l’insecte s’accomplissent. La plante pourvoit en nourriture les animaux petits et grands et veille sur eux. En échange la plante est fécondée et nourrie par les animaux. C’est ainsi que les éléments qui composent la nature restent en totale harmonie avec la conscience cosmique.
On dit parfois que l’harmonie est la voix mystérieuse de la nature qui inspire le poète. Si tous les êtres humains pouvaient comme le poète entendre cette voix, la nature pourrait être satisfaite de celui que le Créateur lui a envoyé pour régner sur elle. Hélas, il semble bien qu’il n’en est pas ainsi; car en effet, là où est l’homme, l’harmonie très souvent n’y est pas. Lorsque nous observons l’espèce humaine autour de nous toujours agitée et en effervescence, nous pouvons en conclure que son équilibre est sérieusement ébranlé et qu’elle le perdra si rien ne l’oblige à redéfinir son existence.
Depuis sa venue sur Terre, l’homme est devenu, de par le jeu d’événements gigantesques, l’artisan de sa propre conscience. Alors que son devenir impliquait qu’il montrât son vrai visage, il a cru pouvoir déduire de la matérialité qui lui était imposée une sagesse pour son propre usage. Et c’est ainsi qu’il s’est présenté comme le Maître de son propre progrès. Il nous faut reconnaître que dans le domaine de la connaissance de la matière, son génie l’a mené loin et qu’il a conduit le progrès de la science en général, de la science nucléaire et la technologie en particulier, à un niveau remarquablement élevé. Mais, maintenant qu’il connaît bien mieux les forces de l’univers, il ferait bien de se laisser guider par elles.
L’homme se conduit souvent comme l’acrobate qui n’est pas maître de son trapèze et qui court le risque de tomber un jour ou l’autre. Pourtant lorsqu’il fut exilé sur Terre, le Créateur lui a tout mis en mains, mais il ne sait pas ou ne sait plus faire usage du grand avantage dont il jouissait, à savoir la conduite de sa propre existence. Tandis que pour le moment, l’harmonie entre la nature, l’univers et l’homme est perturbée, et qu’une situation s’est créée qui contrecarre tout désir de bonheur, l’homme recherche ailleurs la lumière qui habite son cœur, et que seule une communion intime entre Créateur et créature peut dévoiler.
Les mystères de la nature sont marqués dans le corps de l’homme. L’harmonie avec ce qui l’entoure a donc son origine dans son être profond. Ce qu’il entreprend, afin de régénérer et transcender son corps, le met en état d’exprimer dans sa vie terrestre sa vraie nature, son être véritable, au service des autres. L’équilibre de son être, sa santé physique et morale, lui ouvrent les portes de la sérénité, de la sagesse et de son unité avec tout.
Qu’il emprunte les rues d’une ville ou des sentiers de campagne, l’homme incarne sur le chemin de sa vie les différents stades de son éveil et le degré d’harmonie qu’il a atteint. La nature et les êtres simples y sont sensibles. Soyons ces êtres simples et faisons en sorte que notre Moi devienne une énergie sensible que chacun de nous puisse canaliser avec intelligence afin que l’équilibre soit rétabli dans la société humaine. Cet équilibre ramènera l’harmonie dans le cœur de l’humanité.
S’il nous arrive de pouvoir nous asseoir dans un bel endroit de notre jardin ou en pleine nature, au milieu d’arbres, de plantes et de fleurs, en toute sérénité, examinons nous-même si «être» et « faire » dans notre vie sont en équilibre, ou s’il y a des aspects de notre existence qui nécessitent un surplus d’harmonie. Remplissons-nous nos journées d’activités qui dévorent trop de temps ? Accordons-nous assez d’attention à ceux qui nous entourent ? Prenons-nous chaque jour le temps d’être nous-même en toute tranquillité ?
Que l’harmonie prenne racine dans le cœur des hommes et y règne, ainsi que sur la Terre, et qu’elle apporte à l’homme amour et sagesse pour son bien-être et le bien-être du monde entier.