Conte Par Patrick Pusey , Revue Rose-Croix N° 263 d’ Automne 2017, page 39 à 45
À une époque de modernité où l’homme recherche plutôt la notoriété que la sagesse, il paraît bon d’aborder un thème presque oublié, celui de la simplicité. Comment aborder la simplicité? Comment entrer en relation avec quelqu’un de simple? Avec humour, disons qu’il suffit d’être simple. La première idée venant à son sujet est que le mot « simplicité » est un thème propice à la méditation, comme si la sève de la simplicité pouvait nous amener à des ramifications communes plus complexes, toutes en lien intime avec le tronc de l’Arbre philosophique: Vérité, Sagesse, Amour et Paix.
La simplicité est mère de vérité
Pour aller à la rencontre d’autrui, à un rendez-vous, pourquoi nous faut-il choisir parmi nos plus beaux vêtements ? Serons-nous parés de ces mêmes vêtements lorsque nous rejoindrons la Conscience cosmique ? Ou alors, bien au contraire, serons-nous dépouillés de tout le superflu auquel ici-bas nous accordons quelque importance? Dans notre entourage, dans un domaine réputé profane, nous trouvons une application pratique de l’adage «Venez comme vous êtes ! » ; pour un mystique, cela est quelque peu déconcertant de penser que le marketing et ses études de marché consuméristes puissent nous apprendre une leçon de la vie. Et pourtant! Cet adage est le leitmotiv ou le slogan actuel de cette chaîne mondialement connue de restauration rapide, exportée des États-Unis d’Amérique où elle trouve sa fondation et ses origines.
Dieu est simple, c’est l’homme qui complique tout
En ce monde, la simplicité est rare; et de nos jours, il semble que les gens simples se font rares. Quelques générations avant la nôtre, nous pouvions parler de « gens simples» tout en montrant une attitude sincère de respect. Au fil des ans, le respect attaché naturellement à la simplicité s’est comme étiolé pour glisser vers un champ sémantique plus péjoratif. Remarquons, en corrélation avec la notion de respect, que le verbe « étioler» signifie en agriculture: faire pousser une plante à l’abri de la lumière afin qu’elle reste blanche. Mais peut-être les gens simples se font-ils discrets, hors du tumulte et de la foule ? Où la guerre se déclare, la paix prend fin ; où la paix apparaît, la guerre se retire. Ainsi, par cette simple déduction nous pouvons déjà mieux comprendre ce qu’écrivit LevNikolaïevich Tolstoï (1828-1910) dans Guerre et Paix: « La simplicité est la soumission à Dieu. »
La simplicité de l’alchimiste
Connaissez-vous un alchimiste -opératoire ou spirituel- qui, dans son laboratoire, aurait réalisé l’Œuvre en costume deux pièces ou trois pièces? Après avoir découvert le processus de l’œuvre alchimique, peut-être est-il capable de produire les opérations habillé de la sorte.
Mais ceci est une autre affaire. Dans les représentations livresques, sur des gravures, on peut voir l’alchimiste, homme simple et pieux, vêtu pauvrement, ses vêtements presque en lambeaux, mais laborieux et affairé au fourneau, à l’Athanor.
Simplicité et silence
Avons-nous besoin d’utiliser un mot de notre langue, un symbole verbal, pour dire ou décrire la simplicité? L’homme simple ne se réfugie-t-il pas dans le silence, ou plutôt ne vit-il pas dans le silence, avec le silence et pour le silence? Silencium post clamores : dans cette sentence latine, titre du livre que Michel Maier (1568-1622) publiait en 1617, « Le silence après les clameurs », nous remarquons que silencium est un singulier, clamores un pluriel, le premier terme invitant à rechercher l’Unité en soi, le second imposant seulement la multiplicité des manifestations ou des phénomènes aux sens objectifs de l’homme. Goûtons au silence dans la simplicité, car l’expérience mystique révèlera qu’il y a des instants sublimes que l’on peut vivre dans le silence de son moi intérieur et qui ne peuvent être dits avec des mots.
Silence et harmonie
Pour aborder le silence, faut-il être vêtu d’irritabilité, de vantardise, d’avidité, d’impulsivité, d’orgueil, de précipitation et d’expansivité … ou bien se dépouiller de ces oripeaux ? À l’énumération de ces défauts, si fréquents dans le comportement de l’homme esclave de ses passions, nous pouvons constater à l’évidence qu’ils ne font que nuire à la rencontre du silence.
La présence du silence est-elle une absence de sons? Pas forcément. L’un et l’autre peuvent se marier de façon harmonieuse : dans un paysage recouvert d’une épaisse couche de neige – plus précisément de cristaux de neige, les sonorités amorties donnent une impression harmonieuse de calme et de silence. Alors, si ce n’est pas seulement l’interruption plus ou moins longue du son, qu’est-ce que le silence? Quelque chose de mystérieux, qui embrasse autre chose d’impalpable.
La musique du compositeur français Claude Debussy (1862-1918) n’est-elle
pas une invite au silence et à l’harmonie, et par conséquent, à la simplicité ?
Dans son œuvre, il semble à l’oreille que les silences sont comme des notes de
musique posées délicatement sur la portée. Pour apprécier sa musique, citons-en
un morceau remarquable joué au piano par Martin Jones : Clair de Lune.
Ainsi, par réflexion, nous pouvons noter que la présence du silence implique
une présence de la Conscience, c’est-à-dire d’un niveau de conscience supérieur.
Qu’est-ce que la complexité ?
Un enseignant utilise-t-il la complexité pour transmettre à des élèves idées, savoir ou expériences ? Cette complexité rendrait alors la connaissance inaccessible. Non, le pédagogue se sert d’images simples et d’exemples concrets vérifiables par chaque étudiant dans son quotidien. Cela évoque le souvenir de la pédagogie simple et claire de feu Harvey Spencer Lewis (1883-1939), Imperator de l’A.M.O.R.C. en Amérique de 1915 à 1939. Il suffit de consulter l’un de ses articles pour comprendre qu’une expression simple peut être éloquente et traverser un siècle. Par exemple, prenons l’article qui s’intitule « Le travail, un art perdu ? » Ne sommes-nous pas aujourd’hui encore confrontés au même problème de civilisation? Le travail ne devient-il pas un art perdu parce que ses serviteurs ont perdu le sens ou le goût de la simplicité, et dans le même temps, le sens du devoir accompli ?
Dans un autre article, « Les instincts primitifs de l’homme », voici un aspect des enseignements transmis par le Dr H. Spencer Lewis à l’occasion d’une excursion de quelques jours avec des amis, au Parc National Yosémite en Californie: « Nous voulions être naturels comme la nature elle-même et nous accorder avec les choses les plus simples de la vie.» Ajoutons également ceci: «Quand les choses artificielles et la tromperie personnelle sont rejetées et que nous voyons la nature et toutes les manifestations de Dieu dans leur plus pure et indescriptible gloire, alors nous sommes proches de l’accord cosmique et hautement réceptifs aux inspirations qui remontent des profondeurs de notre être. »
L’essence du ciel
Ceci n’est pas un éloge de la pauvreté, ni de la misère, encore moins de l’ignorance. Cela rappelle le cas de ce grand patron du secteur de la construction et des travaux publics, qu’un ouvrier nouvellement embauché prit pour l’un de ses collègues d’atelier. C’était en fait un homme simple, aux manières sobres, vêtu d’une modeste cotte de travail ; mais il était le patron de l’une des plus grosses affaires du Gabon
Alors réfléchissons un peu … La simplicité est-elle une valeur se trouvant hors des contingences matérielles? Si l’homme se libère du superflu, ne va-t-il pas au fond de lui-même retrouver l’essentiel ou « l’essence du ciel », en langage des oiseaux? Mais qu’est-ce que le superflu? Peut-on le définir? Pour les uns ce sera un excès de confort ; pour les autres une paire de chaussures devenue inutile afin de ressentir pieds-nus le contact physique avec la terre – avec l’élément terre. Tout simplement, le superflu est-il ce qui dissimule à l’homme ou prive l’homme de l’esseniel ? Oui, écrivons « essenciel », Qui discerne une faute d’orthographe applique probablement à la lettre ce qu’il a appris pendant le cycle scolaire. «Ne ferme pas la porte à l’erreur, de peur un jour de laisser la vérité dehors », a dit un sage. Le temps est un grand thérapeute. C’est seulement par l’acceptation de nos propres erreurs, et de celles d’autrui, que nous trouverons la manière appropriée de nous comporter, et ainsi progresser vers une compréhension meilleure.
La vérité nous affranchira
Reprenons l’exemple du vêtement et demandons-nous: « Qu’est-ce que porter un vêtement simple ? . Il semble que cela signifie porter un vêtement propre, dont le prix ne dépasse pas ses moyens et qui est adapté aux circonstances, aux conditions exigées par le travail ou bien par le climat du pays où l’on se trouve. D’un point de vue mystique, selon les témoignages vécus et d’après les propres découvertes d’initiés, notre plus simple vêtement est encore notre corps physique. À partir de cette compréhension, se dégage une autre conception de ce que sont vraiment les niveaux de réalité de l’Univers.
Dans les domaines de la mécanique ondulatoire et de la physique quantique, c’est toute la question du point de vue de l’opérateur qui influe sur le résultat d’une expérience et intrigue tant la communauté scientifique.
Comment se comporte la simplicité au cours du temps ? Comment évolue-t-elle ? Eh bien, elle est toujours fidèle à elle-même. Et, en ce sens, cette valeur est éternelle car toujours soumise au Vrai, au Bien et au Beau. Elle est éternelle dans le sens où la simplicité demeure toujours simple, c’est-à-dire égale à son principe dans tous les cycles d’évolution de l’âme-personnalité.
Dans la nature, considérons pour leurs vertus médicinales les plantes appelées autrefois « simples », Le naturopathe citera quelques exemples, concrets et utiles: la sauge (Salvia Officinalis L., Labiatae), herbe sacrée et bénite des Romains de l’Antiquité, qui produit une action anti-inflammatoire dans l’organisme; ou un arbre très commun de nos régions françaises, le saule ou osier (Salix Alba L., Salicaceae) riche en acide salicylique, principe d’un précieux médicament: l’aspirine. Ces vertus thérapeutiques des plantes mettent peut-être en valeur une vérité: là où il y a vertu, il y a simplicité. Wladimir Wolf-Gozin, écrivain et peintre français du XXe siècle, exprime cela par une maxime: «La simplicité est l’habit de la perfection.» Alors, simplifions-nous : soyons mystiques …
Simplicité et spiritualité
D’un point de vue cosmique, on peut énoncer également que la simplicité est mère de vérité: c’est une grande Loi de l’Univers. Ainsi, chaque être qui participe à la vie cosmique s’inspire de cette Loi. Par exemple, un serviteur du Christ s’abstient de toute idée personnelle ou ayant trait à son propre intérêt; la manière de remplir sa mission cosmique est la simplicité. Pourquoi ? Parce que la simplicité amène la joie intérieure, gage du véritable bonheur. Cela rejoint un passage du Plaidoyer pour le bonheur, de Matthieu Ricard: « Le vrai bonheur procède d’une bonté essentielle de qui souhaite du fond du cœur que chacun trouve un sens à son existence. C’est un amour toujours disponible, sans ostentation ni calcul. La simplicité immuable d’un cœur bon. »
Quels sont les avantages de la simplicité ? C’est une bonne question pour qui cherche à comprendre : la simplicité sert à canaliser les instincts primaires de l’homme … et à étonner l’Univers. De quelle manière « étonner l’Univers », et pourquoi ? , demanderait un enfant curieux de découvrir la vie. Parce qu’un résultat obtenu dans la simplicité, avec des choses simples à la portée de la main, est toujours étonnant.
Quels sont les inconvénients de la simplicité ? Non, à y bien regarder, il semble bien qu’il n’y en ait pas. En effet, on gagne toujours à être simple. Et voici que, de cette conversation avec l’enfant, émerge un sage conseil : « Sois simple dans tes relations avec Dieu, notre Créateur. » Cela évoque la conclusion de l’article de Harvey Spencer Lewis, intitulé « Trois vérités éternelles » : « Je le redis, ces vérités sont celles qui forment la base de toute vie, à savoir que Dieu demeure, l’homme demeure et les liens entre Dieu et l’homme demeurent. » En conclusion, dire que le Maître Jésus, Prince de la Paix, et le Maître Kut-Hu-Mi-l’Illustre Hiérophante bien-aimé des Rose-Croix, sont simples, n’est certainement pas les diminuer, mais au contraire reconnaître la grandeur de leur Être.
« Venue du fond des âges
Chant d’Henry Purcell
La sagesse des cieux
Apporte le message
À tous et en tous lieux. »
(1659 – 1695)